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Mag A l'histoire vraie
29 septembre 2014

La petite boutique

Ezaël, à force de persévérence, a retrouvé Emilie. Il s'est passé beaucoup de temps depuis la visite de la petite fille dans ce curieux immeuble. Elle a grandi, elle est devenue une jeune fille d'une quinzaine d'années maintenant. Elle et sa maman ont déménagé dans les mois qui ont suivi le voyage de la fillette dans ce curieux immeuble, elle n'a jamais eu l'occasion d'y retourner, elle a même oublié. La clé est rangée dans une vieille boîte à bijoux qu'elle n'ouvre jamais, et où elle a caché tous ses trésors d'enfance : une fleur séchée, une bague en plastique offerte par sa copine, une barrette qui lui vient de sa grand-mère, une photo de son papa, un pin's publicitaire de sa pizzéria préférée, une carte d'une princesse, un mot de son ancienne institutrice, et d'autres bricoles sans grande valeur. 

Ezaël la suit discrètement dans la rue. Il ne mesure que quelques centimètres de hauteur, et il vole au dessus de la tête des rares passants. Il ne risque pas de se faire repérer, ainsi... Emilie est contrariée. Elle marche d'un pas vif dans les petites ruelles étroites du bourg qu'elle habite, les mains enfoncées dans les poches, sans but précis, et sans imaginer une seule seconde qu'elle est suivie. Elle s'est encore fâchée avec sa mère, qui refuse qu'elle sorte au cinéma samedi soir avec ses amis, sous prétexte qu'elle est déjà sortie le week end d'avant. Emilie a peu d'amis, elle voulait s'intégrer. Ca ne sera pas encore pour cette fois-ci...

La pluie se met à tomber brutalement. La jeune fille est prise au dépourvu, lorsqu'elle voit, sur sa droite, sous un porche, la porte sombre d'une petite boutique qui semble ouverte. Elle n'a pas le temps d'en lire le nom écrit en lettres anciennes sur la devanture, elle pousse la porte qui actionne une petite cloche au tintement cristallin et s'ouvre dans un shuintement, et elle pénètre dans les lieux. Aussitôt, une douce chaleur l'envahit. L'endroit est obscur, sans être sinistre. La lumière diffuse semble ne venir de nulle part. La boutique est petite, mais chargée. Des bijoux anciens, des statuettes représentant des animaux ou des divinités, des amulettes diverses, des parchemins, des peintures, des pendules, des meubles venus tout droit d'une autre époque emplissent chaque recoin de la pièce. Une odeur de bois, d'herbe coupée, d'humidité et d'encens emplit les lieux. Emilie est intriguée, et déambule lentement entre les différents éléments du mobilier. Elle passe devant un buffet sur lequel sont posées de nombreuses pierres précieuses et semi-précieuses, dont certaines semblent briller de l'intérieur. Au fond de la boutique, derrière un comptoir d'un autre âge, un vieil homme se tient assis, tirant sur une pipe dont l'odeur un peu âcre parvient jusqu'aux narines frémissantes de la jeune fille. Il n'y a personne d'autre dans la boutique, qui ne semble pas avoir vu de visiteur depuis des lustres. L'homme est immobile, ses paupières sont mi-closes il ne jette même pas un coup d'oeil à cette cliente potentielle. Emilie lui lance un "bonjour" à peine audible, qui se perd dans le silence pesant qui règne.

La jeune fille se dirige vers un coin de la boutique où sont rassemblés de nombreux livres, qui semblent entassés sur les étagères sans aucune logique, et qui couvrent de nombreux thèmes. Elle en aperçoit quelques uns sur le jardinage, sur l'univers, l'astrologie, , la cuisine, les pierres, les plantes médicinales, les dragons, les contes pour enfants, les médecines chinoises, la chimie... Certains paraissent neufs, leur couverture plastifiée brille. D'autres semblent attendre là depuis des décennies, couverts d'une poussière fine, leur couverture cornée, des pages pliées. Mue par une volonté extérieure, Emilie déplace un lourd ouvrage sur la numérologie, sans même prendre la peine d'y jeter un oeil. En dessous, elle découvre un petit livre à la couverture noire et souple, dont le titre écrit en lettres manuscrites à l'encre dorée l'interpelle : "Le Petit Livre des Fées". En dessous de ce titre, une signature. La sienne : "Emilie". La curiosité l'emporte, et elle ouvre le livre pour le feuilleter rapidement. Quelques textes, toujours en écriture manuscrite, des photos de plantes, de pierres, de constellations, d'animaux mythiques... Et beaucoup de pages blanches. Bien qu'elle n'a aucune intention de l'acheter, d'ailleurs elle n'a même pas de monnaie sur elle, la jeune fille cherche le prix de ce carnet, en vain.

-"Pour toi il est gratuit"

La voix, toute proche et rocailleuse, fait sursauter Emilie. Le vieil homme se tient à quelques centimètres d'elle, envoyant la fumée de sa pipe dans sa direction. Elle ne l'a même pas entendu se déplacer. La fumée la fait toussoter. Elle parvient à murmurer "co-comment ?". Le vieil homme répète les mêmes mots, exactement sur le même ton. "Pour toi il est gratuit". Emilie ne parvient pas à prononcer un autre mot, elle se contente de hocher la tête en guise de remerciement en serrant le livre contre sa poitrine. Elle esquisse un pas en arrière pour s'éloigner de la fumée et du vieil homme, et fait demi-tour.

Elle souhaite quitter la boutique, mais ses pas la guident vers le buffet des pierres. Il y a un tiroir, que la jeune fille ouvre presque malgré elle, en tirant sur le bouton de bronze en forme de tête de dragon. Le tiroir résiste un peu, mais s'ouvre dans un grincement sinistre qui résonne entre les murs chargés de poussières et de babioles. Emilie découvre au fond du tiroir de nombreuses autres pierres, de toutes les couleurs, de toutes les tailles, quelques bouts parchemins, et des pièces de monnaie datant de l'Antiquité. Encore une fois, sans savoir ce qu'elle fait vraiment, elle tend la main vers un tas de pierres, fouille, et elle en choisit une. Une pierre grise et terne, assez banale en apparence. C'est loin d'être la plus jolie. Mais en la regardant de plus près, Emilie aperçoit des cercles dessinés en relief. Elle la sent vibrer très légèrement dans sa main. Elle a très envie de la serrer fort, de la garder pour toujours.

Prise d'une curieuse intuition, elle ouvre le petit carnet dont le vieil homme lui a fait cadeau, à une page au hasard. Avec surprise, elle découvre sur la page de gauche, la photo de la pierre qu'elle tient dans sa main. Tout est rigoureusement identique : la couleur, la forme, les dessins des cercles à la surface. Sur la page de roite, il est indiqué qu'il s'agit d'une pierre des fées. S'ensuit une brève explication sur la formation de cette pierre et son rôle. Elle n'a pas le temps de lire, que la voix du vieil homme résonne encore une fois tout près d'elle, et Emilie sursaute à nouveau.

-"Elle ne te coûtera que la pièce que tu as au fond de ta poche". Etonnée, Emilie pose la pierre et le carnet  sur le meuble, et fouille ses poches. Dans l'une d'entre elle, elle découvre effectivement une pièce en argent, qu'elle n'a jamais vue auparavant. Elle la laisse tomber dans la main ridée et noueuse que lui tend le vieil homme, qui la remercie d'un grognement accompagné d'un hochement de tête. Il referme lentement la main, et quand il l'ouvre à nouveau, la mystérieuse pièce a disparu. Emilie soupire. Elle n'est plus à une bizarrerie près. Elle reprend ses biens qu'elle glisse rapidement dans son sac d'école et se dirige d'un pas pressé vers la sortie, sans un mot.

Dehors, la pluie a cessé de tomber, et fait place à quelques timides rayons de soleil se reflétant sur les pavés mouillés de la petite rue pietonne. Emilie inspire une grande bouffée d'air frais, elle a l'impression étrange de sortir d'un rêve. La lumière l'éblouit, les bruits clairs des gouttes d'eau tombant des gouttières sur les flaques au sol, le chant des oiseaux, le bruit lointain des voitures la ramènent à la réalité. Apaisée, elle se dirige vers la maison où l'attend certainement sa maman pour le souper, pendant que derrière elle, tout ce qu'on aperçoit de la boutique où elle a trouvé ses trésors, est la porte grillagée d'une librairie abandonnée depuis bien longtemps.

Dans la boutique, Ezaël regarde le vieil homme qui lui adresse un clin d'oeil complice avec un léger sourire avant de s'en retourner à sa pipe, derrière son comptoire poussiéreux. Le petit homme ailé est content de lui. Maintenant, grâce à la pierre, il pourra communiquer avec la jeune Emilie, et lui expliquer ce que son peuple attend d'elle. Par une petite porte en bois couverte de mousse cachée derrière un vieux fauteuil en velours, il s'en retourne dans sa forêt aimée, un sourire satisfait aux lèvres. 

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  • Des contes... Sans queue ni tête, ces récits nés de mon imagination, entre éveil et sommeil, quand on ne contrôle plus le fil de nos pensées, mais qu'il ne s'agit pas encore tout à fait de rêves...
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