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Mag A l'histoire vraie
10 septembre 2013

Au cours d'un soir d'été...

Sur une branche, à peine 2 mètres au dessus du sol, la fée observe l'intrus qui a pénétré dans la forêt. C'est un enfant. Une petite fille, exactement. Elle a environ 2 ans, pas plus de 3 en tous cas. Elle mesure moins d'un mètre, et ses joues pâles sont sillonées par les larmes. Ses jolis cheveux roux et bouclés sont en bataille. Elle a oté son joli bandeau rose et le tient serré dans sa main. Elle pleure, la pauvre petite, elle s'est perdue. Elle se promenait avec son grand frère et son papa, elle a suivi un papillon. Son papa, pris par sa conversation téléphonique, ne s'est pas aperçu que la fillette ne suivait plus. Quand à son grand frère, il était loin devant avec son vélo, et il n'était pas de sa responsabilité de s'occuper d'elle. Elle a marché longtemps après le papillon, babillant un langage incompréhensible tant pour n'importe quel être humain, à par peut-être sa maman, que pour le lépidoptère qui se fichait d'ailleurs comme d'une guigne de l'enfant qui le suivait, tout occupé qu'il était à butiner les fleurs sauvages.

Oui, elle a beaucoup marché, la petite fille. Et quand le papillon a disparu de son champ de vision, envolé trop haut, elle s'est aperçue qu'elle avait faim. Qu'elle avait froid, aussi. Alors elle a fait demi-tour, en appelant son papa, qui ne répondait pas. Et elle a appelé sa maman aussi, même si elle savait que sa maman ne pouvait pas l'entendre, elle l'a appelée quand même, d'abord tout doucement, puis avec de plus en plus de force, et enfin avec tout le désespoir dont une petite fille perdue de 2 ans est capable. Personne ne l'a entendue. Enfin si, tous les animaux de la forêt l'ont entendue, et ils ont fuit, et se sont cachés. Seule la fée est restée, touchée par le chagrin de la fillette, et prise par son devoir de lui venir en aide. 

Heureusement, la petite fille est encore capable d'écouter son coeur, son "sixième sens", son instinct. A présent elle ne pleure plus. Sa douleur est bien au delà des larmes. Sa poitrine est oppressée par la peur et le chagrin. Elle n'a plus la force d'appeler. Elle se contente de marcher, trébuchant parfois sur une racine, une pierre, une branche... Elle ne sait pas où elle va, mais elle ne veut pas s'arrêter. La fée lui murmure alors des choses que personne d'autre qu'elle n'entend. Alors la petite fille se calme, s'apaise. Sous le commandement de la fée, elle change de direction, et se dirige vers un bosquet. Là, elle trouve des baies. De belles baies rouges, qu'elle s'empresse de manger. Les fruits sont juteux et étanchent sa soif. Leur saveur sucrée lui procure beaucoup de réconfort. La fée sait qu'elle ne pourra pas aider seule la fillette, elle fait donc appel à un renard qui passe non loin. Le renard est réticent, et la fée doit négocier finement et fermement avec lui pour qu'il accepte de prendre soin de l'enfant. Pendant ce temps, la petite s'est éloignée du bosquet et s'approche dangereusement d'un autre buisson, lui aussi pourvu de belles baies rouges. La fée s'affole, ses ailes s'agitent frénétiquement, elle tente de toutes les forces de son esprit de détourner l'attention de la fillette. Elle ne doit surtout pas manger ces baies-là ! La petite main dodue s'approche de l'appétissante grappe de baies tellement trompeuses, la fée ne parvient pas à établir un contact suffisamment fort pour l'empêcher d'agir. Le renard décide d'intervenir à contre-coeur. D'un jappement, il attire l'attention de l'enfant. Il a réussi. L'enfant se détourne du buisson aux fruits empoisonnés et s'approche de l'animal, qui recule jusqu'au bosquet précédent et se couche en boule. Il se laisse caresser, tirer les poils, les oreilles, les moustaches. Il a envie de la mordre, et de fuir, mais la fée l'en empêche, elle veille. La nuit est tombée depuis longtemps.Finalement, la fillette se couche elle aussi en boule contre le renard, et finit par s'endormir, d'un sommeil lourd et triste, entrecoupé de sanglots. La fée parvient à attirer l'attention d'un second renard, beaucoup moins réticent que le premier, qui viendra se coucher auprès de la fillette pour lui tenir chaud au cours de la nuit. En cette fin d'été, les nuits sont fraîches, et celle-ci pourrait bien être fatale à ce petit d'homme et son léger gilet de coton rose. A quelques kilomètres de là, le capitaine de la brigade explique aux parents anéantis que la nuit empêche la poursuite des recherches et qu'ils reprendront dès demain matin aux premières lueurs du jour. Il essaye de leur insuffler un peu d'optimisme, mais est bien conscient de ses limites. Les parents et le grand frère pleurent doucement l'enfant disparue.

Dès le lendemain matin, comme promis par le capitaine, une grande battue est organisée. Beaucoup de voisins, d'amis, et même des inconnus, touchés par l'histoire de la petite Elen disparue, se mettent à la tâche. Le groupe est en marche, ratissant la forêt et appelant la fillette par son prénom.

Non loin de là, la fée veille toujours sur sa protégée endormie. De timides rayons de soleil, filtrant à travers le feuillage allégé de la forêt, caressent sa joue en prenant soin de ne pas la réveiller. Les renards, eux bien réveillés et aux aguets, n'ont pas bougé. Leur objectif est de maintenir la petite au chaud. Elle a l'odeur de la peur et du chagrin, l'odeur d'un bébé en danger, ils s'y sont attachés. La fée est à présent sereine, elle sait qu'elle peut leur confier la petite quelques instants, le temps d'aller chercher une autre aide. Elle survole la troupe qui organise la battue, à la recherche d'une faille. Hélas, à première vue il n'y en a pas. Tous, hommes et femmes, ont fermé leur esprit et leur coeur aux voix des fées, et nul ne l'entend. A part peut-être cet adolescent, là. Robin, 15 ans, est mal dans sa peau. Rêveur, il n'a pas beaucoup d'amis. Mais il aime rendre service et s'est lancé à coprs perdu dans la battue, espérant retrouver la fillette, qu'il ne connait pas, saine et sauve. Alors qu'il suit scrupuleusement le groupe, fouillant sous chaque fougère, sous chaque fouillis végétal, derrière chaque arbre en appelant la petite Elen, soudain, comme poussé par une force invisible, par un ordre que lui souffle la fée au fond de son coeur, il se détache des autres et s'éloigne d'un pas décidé vers la gauche, négligeant de regarder partout, il avance, fermement, sans relâche. Les cris des autres sont de plus en plus lointains. Personne ne s'est aperçu qu'il ne suivait plus. Bientôt il les perd de vue mais il s'en fiche, il continue d'avancer vers un but connu de lui-seul, et encore, le connait-il seulement ?

La fée, satisfaite de l'avancée du sauveur qu'elle a choisi, l'abandonne quelques instants pour retrouver la fillette et les renards. Ces derniers n'ont pas bougé, la fillette dort toujours. Au loin, on entend les voix des chercheurs, étoufffées par la distance et les arbres. La fée informe les renards de l'arrivée d'un humain, ils doivent fuir. Les animaux se dégagent doucement, reniflent une dernière fois la fillette et s'en vont furtivement. Le froid de leur absence réveille la fillette. Elle est surprise et désappointée de se réveiller au milieu de la forêt, alors qu'elle rêvait qu'elle dormait dans le lit de son papa et sa maman, bien au chaud contre eux. Elle réalise lentement, se lève, observe autour d'elle et constate l'absence de visages connus, l'absence de visages tout court. Elle se remet à sangloter doucement. 

Pendant ce temps, Robin a ralenti sa marche. Il se demande pourquoi il est allé si loin seul, et dans cette direction. Il a envie de faire demi-tour, mais a peur du ridicule, il a peur que les autres pensent qu'il s'est perdu. En vérité personne ne s'est aperçu de son éloignement, et s'il revenait, personne ne le remarquerait non plus. On ne recherche pas ce grand adolescent un peu maigre et caché derrière ses lunettes, mais une fillette rousse perdue depuis plus de 10 heures dans la forêt. Alors Robin continue d'avancer, mais en y mettant moins de coeur. La fée n'est plus là pour le guider.

Soudain, il entend pleurer. Il s'immobilise, tend l'oreille, et cherche à localiser l'origine des sanglots. Il appelle doucement, puis de plus en plus fort, Elen. La petite entend son prénom, son coeur se met à battre plus fort, ses sanglots redoublent d'intensité. C'est encore un bébé, les pleurs sont les seuls moyens qu'elle a de se défendre, d'appeler à l'aide. Son instinct (et la fée n'y est sûrement pas étrangère) la pousse à pleurer plus fort encore. L'adolescent se rapproche du bosquet, il accélère le rythme, il court, presque ! Et enfin, il arrive à hauteur de la petite fille. Dans une impulsion, il la prend dans ses bras et la serre très fort, en lui parlant doucement. la petite sanglote toujours, mais moins fort. Elle est heureuse. Mais pas autant que Robin, que le soulagement et la joie ont envahi. Il se met à crier "je l'ai trouvée ! Je l'ai trouvée !" Il se précipite vers le groupe, toujours en criant, et en courant. Il protège de ses bras le petit corp frigorifié de la fillette, pour lui éviter le fouet des branchages pendant qu'il court. Il n'a qu'une envie, remettre la fillette dans les bras de ses parents. La fée le suit de près, lui insufflant l'énergie dont il a besoin pour éviter les obstacles, pour se rapprocher toujours plus de son objectif. Les hommes de la battue commencent à comprendre le sens des paroles criées par le jeune homme. Un frémissement les parcourt. Un silence religieux s'installe, personne n'osant croire au miracle. Et puis, entre 2 arbres, enfin, ils voient enfin l'adolescent portant une petite masse aux cheveux roux. Quelques cris incrédules s'échappent. On tente de prévenir les parents, on les cherche dans la foule. Enfin, quelques hommes se détachent du groupe et vont à la rencontre de l'adolescent essouflé qui arrive parmi eux. Très vite, la fillette est au coeur de toutes les attentions, elle retrouve enfin ses parents. Robin est accueuilli en héros. La fée, satisfaite du devoir accompli, se repait du bonheur exalté, la fatigue des angoisses de la nuit disparait. Elle s'éloigne toujours aussi discrétement. Surtout, ne pas se faire remarquer. Elle doit faire son rapport à présent. Et écouter ce que les autres fées ont accompli cette nuit pour venir en aide à un être vivant. La forêt est grande, la tâche est ardue. Et puis, bientôt, il y aura le Grand Rassemblement. Il n'a lieu que très rarement. C'est un grand événement. On ne s'ennuie pas quand on est une fée.

L'histoire de la petite fille perdue dans la forêt et retrouvée miraculeusement saine et sauve au petit matin fera le tour des journaux locaux. Personne, pas même le jeune Robin, n'imagine un seul instant que la fillette doit sa survie à une fée, et deux renards qui lui ont tenu chaud et l'ont empêchée de manger les baies empoisonnées. Quant à la fillette, toute heureuse de retrouver son papa et sa maman, son frère et son foyer accueuillant, elle n'a pas encore assez de vocabulaire pour raconter. Et bientôt, dans quelques mois, elle sera comme la plupart des hommes : son coeur sera sourd et aveugle, et les fées ne seront pour elle comme pour le monde entier, que des personnages de contes pour enfants... 

Dans la forêt, au printemps suivant, au fond d'un terrier, 3 renardeaux dorment sur un bandeau à cheveux rose, portant encore, ténue, l'odeur d'une petite fille rousse au gilet rose, et des groseilles qu'elle a mangé ce soir où leur maman lui a tenu chaud.

 

 

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  • Des contes... Sans queue ni tête, ces récits nés de mon imagination, entre éveil et sommeil, quand on ne contrôle plus le fil de nos pensées, mais qu'il ne s'agit pas encore tout à fait de rêves...
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